F I L M S

10/01/2003

Gangs of New York
Film britannique, allemand, américain (2002). Historique, Action, Drame. Durée : 2h 50mn. Interdit aux moins de 12 ans - Avec Leonardo DiCaprio, Daniel Day-Lewis, Cameron Diaz, Liam Neeson, Brendan Gleeson.
Réalisé par Martin Scorsese
Date de sortie : 08 Janvier 2003

Ca commence avec un rasoir, et du sang sur la lame : un père et son fils. Et puis de la neige, bientôt maculée du rouge de ces hommes obsédés par le droit d'être américain, d'être New-Yorkais. Deux clans s'opposent, les Native Americans du boucher (extraordinaire Daniel Day-Lewis), et les irlandais, du révérend Vallon (Liam Neeson), Les Dead Rabbits. Un massacre. Le père meurt devant les yeux de son fils, le boucher vient de le saigner comme un porc. Vengeance !
Amsterdam (L.D.Caprio) a grandi ; 16 années…il vient régler ses comptes avec son passé.

Voilà un film qui a fait parler de lui (dépassement de budget, caprices de la star qui profitait de la belle vie italienne, mésentente entre Weinstein et Scorsese…) et qui encore aujourd'hui fait couler beaucoup d'encre. Car au juste, c'est quoi Gangs of New York ? Ce n'est certainement pas cette histoire de vengeance. La première version, celle qui aurait dû sortir en décembre 2001, présentait, par la bande annonce, le film autrement. Mais qui irait voir un film sur New York ? Pour des raisons économiques, la présentation a changé, le film a été charcuté ; le fils qui se venge de la mort de son père, c'est bien, c'est la loi du talion, c'est catho à fond, tout le monde comprendra, et ça fera plein de fric. Oh les cœurs ! Mais voilà, la structure d'un film de Scorsese, ça ne se bouscule pas. Le film souffre des coupes, mais avant tout il nous emmène ailleurs.

Comment comprendre l'Amérique aujourd'hui ? Ce serait plutôt ça l'enjeu, l'ambition de ce film. La fin nous éclaire sur ce postulat, et je pense que ce sont ces dernières images qui auraient dû ouvrir le film : un cimetière, une voix off qui résonne, et par quelques transitions, le paysage qui change, se transforme, comme si rien au fond n'avait changé. Au loin les deux anciennes tours s'élevant dans le ciel, et tout le centre, développé, bâti, construit, transformé : de la forme. Le fond unit les deux époques, et c'est le même sang, la même rage, idéologie qui anime l'Amérique, celle des Natives et des immigrants, des américains et du reste du monde. Et c'est New-York qui en 2001 a encore souffert. Ou alors, serait-ce ce sang répandu qui aurait permis à cette cité d'émerger, et à l'Amérique de se construire ?

Sur tout le film souffle un vent ironique, et il emporte tout.

Il y a dans Gangs of New York un plan magnifique, il résume à lui tout seul tout l'intérêt de cette entreprise Une longue séquence s'ouvre près du port, des quais. Les Irlandais débarquent, Boss Tweed, le politicien véreux y voit des électeurs potentiels, de nouvelles voies pour garder le pouvoir ; Bill le Boucher leur crache dessus, ce sont des étrangers qui viennent occuper ses terres, des envahisseurs, pas des citoyens américains. Pourtant ce sont eux, et pas lui, qui partiront alimenter les troupes du Nord pour la guerre de sécession. Ils arrivent, ils signent et s'engagent, ils prennent le bateau, d'autres débarquent, dans des caisses de sapin, des cercueils offerts par la nation.
A un autre moment dans le film, Bill chante qu'être un vrai citoyen, c'est donner sa vie pour son pays. Mais de quel pays parle-t-il, alors que des milliers d'étrangers fraîchement débarqués iront crever comme des merdes pour une nation qui ne veut pas d'eux. Forcément tôt ou tard, ce sera l'insurrection.

Alors l'Amérique est née dans la rue, dans la crasse, à côté des putes, et des poivrots, au milieu des gangsters et des corrompus. Peut-être… Ces guerres de gangs auraient permis à une nouvelle Amérique de naître ? Je n'en suis pas convaincu. Mais ce n'est pas très intéressant, Gangs of New-York est un film important, une histoire ample qui se permet de visiter et de donner à voir, dans ses racines, dans son sang, l'image d'un pays qui depuis des décennies domine le monde. Ce n'est pas le pays de Mickey et du Coca Cola, ni des sourires branchés et des poitrines gonflées, c'est celui des gros et des oubliés, des modestes et des engagés, c'est celui du peuple et des immigrés, un pays qui s'est saigné et ouvert le ventre, pour y répandre toute sa merde, sa lie : c'est un drapeau qui a baigné dans son sang, usé, raccommodé, qui flotte sur les bords du rêve américain.

Pour résumer, Gangs of New-York est un film qui dérange, en même temps qu'il force l'admiration… C'est un film magnifique.

Christophe Lenoir.

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